Revue de marques



Yves Rocher : un sérieux coup de jeune!


A la fin des années 1950, le jeune Yves Rocher se voit confier la recette d’une pommade aux plantes. Sa vocation est née, et il n’aura de cesse de tenter d’isoler les principes actifs des plantes pour les inclure dans des produits de soin. En 1959, il fonde à La Gacilly, dans sa Bretagne natale, les Laboratoires de biologie végétale, et se lance dans la distribution de cosmétiques d’origine naturelle à petit prix par un système original à l’époque : la vente par correspondance. Le succès est rapidement au rendez-vous, et culmine dans les années 1970 avec le passage à l’industrialisation et l’ouverture en France et dans le monde de « Centres de beauté », des boutiques sous franchise comprenant parfois un institut de beauté.


Le problème à résoudre

Malgré la bonne santé de l’entreprise, dont témoignent l’expansion continue à l’étranger (30 millions de clientes à travers le monde) et le rachat de marques aussi diverses que Stanhome (produits d’entretien), Petit Bateau ou les Laboratoires Santé Naturelle (compléments alimentaires), la marque Yves Rocher souffrait au début des années 2000 d’un déficit d’image.

Paradoxalement, cette marque écologiste avant l’heure, et dont l’engagement n’avait fait que redoubler dans les années 1990 (récompensée en 1991 par le Prix de l’Environnement pour l’industrie du Ministère de l’environnement, puis en 1999 par le Trophée entreprises et environnement), n’arrivait pas à capitaliser sur ce qui aurait dû être un atout non négligeable quand l’écologie est devenue une préoccupation majeure des Français.

Malgré cet engagement sincère, la marque Yves Rocher avait été épinglée pour mensonge en 2005 par le magazine de France 2 Envoyé Spécial, à cause de sa ligne de soin « Bio », qui non seulement n’était pas issue de l’agriculture biologique, mais contenait également des additifs toxiques. Ce scandale avait occasionné le licenciement de deux salariés, ce qui n’avait rien fait pour redorer le blason de la marque.

Globalement, la marque souffrait d’une image vieillotte et bon marché (ce qui n’est pas forcément une bonne chose sur le marché très impliquant des cosmétiques et de la parfumerie). Ses boutiques, aux couleurs indécises, évoquaient davantage le bazar que la parfumerie, et son canal de distribution principal, la vente par correspondance, s’essoufflait malgré le passage à Internet. Elle était aussi pénalisée par la montée en puissance de concurrentes plus modernes et dynamiques, soutenues par des groupes puissants, comme Séphora (LVMH) pour les boutiques ou le Club des Créateurs de Beauté (L’Oréal) pour la vente à distance.


La stratégie mise en œuvre

La stratégie choisie n’a rien d’original dans son concept. Engagée en 2007, elle vise à moderniser l’image de la marque tout en s’appuyant sur ses valeurs fondamentales. Rien de plus simple en apparence, en pleine vague écologiste, quand on est le créateur de la Cosmétique végétale…

L’offre

Avec 250 produits nouveaux par an, et après le scandale qui avait éclaboussé la marque, il eût été dommage de ne pas lancer une gamme de produits vraiment bio. C’est aujourd’hui chose faite avec la gamme « Culture Bio », qui annonce des formules naturelles à plus de 98 %, garanties par le label Cosmebio et certifiées par Ecocert, et au minimum 18 % des ingrédients issus de l’agriculture biologique.

Autres produits qui collent à l’air du temps : les huiles essentielles, les lignes « Spa végétal » ou « Tradition de hammam », à l’huile d’argan, la gamme « Les plaisirs nature » , présentée dans des bocaux en verre qui ne sont pas sans rappeler ceux du Body Shop , des soins pour homme, des compléments alimentaires.

Certains produits comme le maquillage ont subi un sérieux lifting : fini les tubes de rouge à lèvres verts ou beiges, les boitiers sont désormais noirs ou de couleur sombre, les lignes sont épurées, résolument actuelles, les poudres pressées griffées en creux. Le résultat est sobre, élégant, et ne déparerait pas dans une parfumerie haut de gamme.

Le logo

En juillet 2008, fini l’ancien logo avec le nom de la marque en vert sur fond blanc. Un nouveau logo voit le jour, créé par l’agence Saguez & Partners. Une création très végétale : insérées dans un cercle, en blanc sur fond vert, les initiales YR rappellent une tige sur laquelle pousse une feuille, tandis que le nom complet apparaît en dessous, en brun foncé, dans une police de caractères très simple qui tranche avec l‘originalité du cercle vert.
Ce nouveau logo, qui s’accompagne de la signature « Créateur de cosmétique végétale », illustre bien la volonté de la marque à revenir à ses fondamentaux et à communiquer plus ouvertement sur l’essence même de son identité.

Les boutiques

Le nouveau logo a été le point de départ d’un renouvellement de l’identité visuelle de la marque sous l’égide de Saguez & Partners.
A l’occasion du cinquantième anniversaire de la marque, les boutiques se métamorphosent. Initié dans quatre d’entre elles dès mars 2009, ce relooking devrait d’ici quatre ans s’étendre aux 1600 points de vente dans le monde, pour un investissement total de plus de 200 millions d’euros.
Rebaptisés pour l’occasion « Ateliers de Cosmétique Végétale », les magasins adoptent un nouveau décor, plus aéré, plus épuré et plus tendance, sur les thèmes de la nature et des plantes. Des hôtesses en tablier vert prodiguent leurs conseils aux clientes.

La conception des boutiques s'inscrit désormais dans le respect de l'environnement : des ampoules basse-consommation pour l'éclairage, un dispositif publicitaire (prospectus, présentoirs, etc.) réduit pour économiser le papier, et les anciens matériaux recyclés.

La communication publicitaire

Parallèlement à son changement d’identité visuelle, Yves Rocher bouleverse une communication jusque là très consensuelle avec le lancement en mars 2009, à l’occasion de la Journée de la Femme, d’un ">film publicitaire particulièrement audacieux, mettant en scène des coupes de tous âges surpris en pleins ébats avec les surtitres : « Améliore la circulation sanguine », « Renouvelle le collagène », « Régule le sébum » ou « Augmente la DHEA ». Conclusion en guise de slogan : « Ce qui est essentiel rend belle ».

Ce film n'est pas passé inaperçu, au risque de déstabiliser la clientèle traditionnelle de la marque.

Internet comme relais des actions citoyennes

Aujourd'hui, la marque ne possède plus q'un site à son nom : un site marchand , qui perpétue de manière plus moderne la tradition de la vente à distance, et donne quelques informations sur l'entreprise et ses engagements « éco-citoyens ». Bizarrement, le site institutionnel, que j'avais longuement consulté pour mes recherches en 2009, semble avoir disparu. Dommage, car il représentait une mine d'informations pour les curieux.

Un site séparé est dédié à la Fondation Yves Rocher, qui mène de multiples actions en faveur du développement durable, sous l'égide de l'Institut de France.

Mais Yves Rocher possède également un blog, Les Végétaliseurs , animé par les salariés du groupe, et qui propose à tous les passionnés d’écologie de s’exprimer et d’échanger leurs bonnes pratiques en faveur de la préservation du monde végétal.
Les initiateurs du projet le décrivaient en ces termes :
« Au début, en juin 2006, le projet avait été pensé comme une nouvelle manière de mobiliser les salariés autour des credo essentiels de l'entreprise Yves Rocher, que sont la défense de la nature et la valorisation du monde végétal. Nous avions imaginé des "commandos de végétalisation", à mener dans les villes où le béton est roi… à Paris par exemple, on rêvait de ramener le Parvis de la Défense à l'état sauvage, le temps d'un "happening végétal", en apportant toutes nos plantes vertes !
Petit à petit, portée par l'enthousiasme de ceux qui l'ont imaginée, l'idée a fait son chemin… Et si le mouvement s'amplifiait, si on "poussait les murs", si on ambitionnait à partager cette vision avec notre famille, nos amis… voire l'ensemble de la société civile?
La motivation des équipes a été telle que la direction d'Yves Rocher a été convaincue de financer notre projet sous la forme d'un site Internet, participatif et public… pour en faire le carrefour de tous ceux qui voient la vie en vert, qu'ils travaillent chez Yves Rocher ou pas !
»

Pour une marque comme Yves Rocher, particulièrement discrète dans les médias, Internet est ainsi un moyen de mettre davantage en lumière ses actions, voire d’y faire participer l’ensemble des citoyens.

Le mécénat

Si les actions en faveur de l’environnement ou des personnes handicapées se sont multipliées depuis le début des années 1990, le plus souvent dans la plus grande discrétion, Yves Rocher a trouvé en 2009 un moyen de prouver, de manière plus visible cette fois, son engagement aux côtés des femmes, en sponsorisant l’exposition du Centre Pompidou consacrée aux artistes femmes, « Elles ». Dans Le Figaro (« Yves Rocher ou l’art de s’impliquer », 26/05/2009), Stéphane Bianchi justifiait ainsi ce choix :
« 'On ne nous attendait pas là. Surprendre, c’est-ce qui me plaît,' s’amuse Stéphane Bianchi, le PDG, qui s’évertue à faire évoluer l’image de la maison en renouant avec ses racines : l’engagement. 'Le parti pris unique de l’exposition, la responsabilité sociale dans laquelle il nous propulsait, ont pesé lourd dans la balance. Et puis, en période de crise, le mécénat, c’est un acte militant.' »

L’hôtel-spa

Lubie ou coup de génie, Yves Rocher tente une diversification avec l’ouverture en 2009 de La Grée des Landes, un éco-hôtel Spa dans le fief historique de la marque, La Gacilly. De sa création jusqu'à ses prestations, le site s'appuie sur un concept totalement écologique : orientation des pièces sud et ouest, isolation renforcée, toits végétaux, eaux de pluie récupérées et eaux usées filtrées, utilisation de matériaux naturels et locaux, politique de développement de l'économie locale... L'hôtel pousse la conscience environnementale jusqu'à produire une partie de son énergie.
On est loin des cosmétiques bon marché vendus sur catalogues…


Bilan et prospective

Après le décès de son créateur le 26 décembre dernier, la marque fêtait en juillet ses 50 ans à La Gacilly.

Les actions menées étant récentes, il est difficile d’en tirer le bilan.
Une enquête réalisée par BVA et publiée dans Les Échos ("Ces sociétés qui ont la cote," 19/05/2009) confirmait cependant le diagnostic établi plus haut :
- à la question « connaissez-vous l’entreprise, ses produits, ses services ? », Yves Rocher se classe septième ;
- « la considérez-vous comme proche de vous ? » : treizième ;
- « en avez-vous une bonne image ? » : vingt-quatrième.
Bilan: une excellente notoriété d’Yves Rocher, mais aussi un déficit d’image.

Les actions entreprises peuvent-elles résoudre ce problème ?

Si la campagne publicitaire de 2009 a reçu un accueil plus que mitigé, elle a eu le mérite de secouer un peu l’image de la marque. Le ">film passant actuellement en télévision, bien qu'adoptant un parti-pris original, se révèle plus consensuel.

La rénovation des magasins est clairement réussie, ainsi que l’effort consenti pour le design de certains produits, et donne l’impression d’une montée en gamme, même si les prix restent identiques. En revanche, le logo est assez proche de celui d’une jardinerie (Gamm Vert, dont le logo émane de la même agence), et le tablier vert des hôtesses confirme cette impression.

Certains produits s’inspirent très nettement de ceux du Body Shop, sans qu’Yves Rocher ait réussi à se construire une identité aussi forte que sa concurrente anglaise.

En réalité, si l’on peut saluer la tentative de dynamiser la marque, on peut s’interroger sur la cohérence des actions entreprises et sur leur capacité à créer une image forte.

Les solutions possibles

La marque n’étant pas habituée à prendre la parole dans les médias, elle ne peut du jour au lendemain s’exprimer à tout va sur tous les sujets. En revanche, elle possède une réelle légitimité sur les questions d’écologie, qu’elle peine à valoriser efficacement, malgré de nombreuses initiatives comme le Prix Terre de Femmes ou l'Opération Plantons un Arbre, menées sous l'égide de la Fondation.

Paradoxe d’une marque populaire, présente dans toutes les villes de France et même dans de nombreux foyers par le biais de son catalogue de vente à distance, elle reste profondément enracinée dans son terroir breton de La Gacilly, où se concentre la grande majorité de ses initiatives. Par ailleurs, malgré une circulation de l’information plus facile grâce à Internet, elle informe peu ses clients de ses nombreuses initiatives citoyennes. Or il est dommage pour une entreprise que ses engagements demeurent méconnus.

Le Livre Vert de la Beauté, qui se cantonne pour l’instant à présenter les produits et leurs principes actifs, pourrait être enrichi de ce qui fait les valeurs de la marque et des combats qu’elle mène pour les promouvoir. Cette publication annuelle pourrait être complétée de manière récurrente par une newsletter sur les actions en cours, distribuée en version papier en magasin, et envoyée électroniquement aux clientes qui utilisent Internet. Cela ferait sans doute plus pour l’image de la marque que la newsletter actuelle, qui n’est en réalité qu’une forme de harcèlement par e-mail pour tenter d’appâter le client avec des offres promotionnelles, et qui finit immanquablement à la corbeille avant même d’être ouverte.

Pour construire une image forte et cohérente, Yves Rocher devrait également renforcer sa proximité avec les consommateurs en allant à leur rencontre dans les régions. Puisque la marque fonde sa réputation sur la science du végétal, elle pourrait se baser sur ses partenariats avec les agriculteurs pour proposer au grand public une découverte du patrimoine végétal de leur région, des modes de culture, mais aussi des principes actifs que l’on peut extraire de telle ou telle plante et de leurs bénéfices pour la santé. Une telle manifestation pourrait même être itinérante, grâce à des structures provisoires rapidement déplaçables, et créer ainsi un effet d’attente. Ce type de démarche, mettant en avant un patrimoine végétal souvent méconnu, serait à même de créer un attachement fort à la marque, qui serait alors associée à la valorisation d’une région et d’une profession.