Qu'est-ce qu'une marque patrimoniale?

Au cours de mes recherches, je n'ai pas réussi à mettre la main sur une définition satisfaisante de l'expression, pourtant utilisée à de nombreuse reprises.

Je vous propose donc la mienne:

Une marque ancienne, appartenant à l’inconscient collectif, à très forte notoriété, attachée à l’identité d’un pays et souvent à l’histoire industrielle d’une région.


Les atouts d'une marque patrimoniale

Toute marque reconnue, a fortiori patrimoniale, est porteuse d'une image forte et bénéficie souvent d'un large attachement du grand public et de la fidélité de ses consommateurs.

En contrepartie, elle doit être exemplaire en termes de qualité, voire d'innovation dans les secteurs à forte valeur ajoutée.

Une marque patrimoniale peut se prévaloir d’une histoire, de traditions qui lui assureront l’adhésion des nostalgiques ou des patriotes.

C'est cette histoire, doublée d'un lien affectif fort, que met en avant la campagne publicitaire célébrant les 90 ans de Citroën.


Cet enracinement dans le passé représente également un sérieux atout dans l’agroalimentaire, où certaines marques n’hésitent pas à forcer le trait, voire à déformer la réalité, pour vanter l’authenticité de leurs recettes.

Voir l'univers publicitaire de La Laitière: basé sur le tableau de Vermeer du même nom, peint au milieu du XVIIe siècle, il décline les images historiques, parfois liées à la Révolution française, alors que la marque date de 1973.

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Par définition, une marque patrimoniale a su résister à l'épreuve du temps, quitte à subsister dans l’inconscient collectif longtemps après leur disparition, comme les magasins Félix Potin, présents à l’esprit de tous les Parisiens malgré la liquidation de la société en 1996. D’autres restent ancrées dans le vocabulaire courant, parfois longtemps après leur disparition du marché, associées à un objet bien précis qui, lui, a subsisté, comme le Frigidaire ou la fermeture Eclair. En anglais, langue plus souple, le phénomène fonctionne avec des marques beaucoup plus récentes, jusqu’à désigner des action et non plus seulement des objets : on peut ainsi employer ‘Hoover’ pour ‘passer l’aspirateur’, ‘Xerox’ pour ‘faire des photocopies’ ou ‘Google’ pour ‘effectuer une recherche sur Internet’.

Pour autant, la vie des marques patrimoniales n’est pas un long fleuve tranquille. Si leur identité reste clairement inscrite dans la mémoire collective, ces marques passent aujourd’hui de main en main à l’insu du grand public, au risque de perdre leur âme en chemin. Georges Lewi, spécialiste des marques, commente ce phénomène dans Stratégies : « Jusque là, les transactions se faisaient de fabricant à industriel. Aujourd’hui, ce sont des financiers qui se portent acquéreurs. Les marques s’achètent comme un bien immobilier, avec des objectifs de valorisation et de revente. »

Cela explique pourquoi certaines marques disparaissent pour refaire surface quelques années plus tard : un grand groupe peut racheter une marque et la garder en réserve sans pour autant l’exploiter immédiatement.


Les difficultés potentielles


Risque inhérent à cette position confortable de marque connue et appréciée des consommateurs : ne pas suffisamment se remettre en question.
Si elle n’y prend pas garde, la marque patrimoniale peut rapidement se ringardiser et voir sa clientèle, certes fidèle, vieillir voire disparaître.

C’est typiquement le cas de Ricoré, mélange instantané de café et de chicorée créé en 1953 par Nestlé : cette marque possède un taux d’acheteurs fidèles exceptionnel mais ne parvient ni à rajeunir son image, ni à renouveler sa clientèle malgré des campagnes publicitaires signées des plus grands noms (Jean Becker, Erick Zonca, Raymond Depardon).

Autre risque pour ces marques : être aveuglées par leur position dominante et ne pas se rendre compte des profondes mutations que subit leur marché.
Jean-Noël Kapferer, dans son article "Marketing-Marque" de l'Encyclopedia Universalis, cite deux grandes marques françaises de skis :
« Rossignol et Salomon, symboles de l’olympisme et de la compétition, n’ont pas immédiatement perçu que les tribus de jeunes snowboarders accoutrés bizarrement préfiguraient une révolution dans le monde de la glisse. »

Même chose pour les géants américains de l’automobile, Ford, General Motors et Chrysler, au bord de la faillite à l’automne 2008. Peu préparés à subir les assauts de la mondialisation, ils n’ont d’abord pas su résister à la concurrence des constructeurs japonais, venus bousculer leur position dominante ; incapables d’anticiper la montée en puissance des préoccupations écologiques, renforcée encore par la crise pétrolière de l’été 2008, ils ont continué de proposer les véhicules massifs, très gourmands en carburant, qui avaient fait leur succès mais sont aujourd’hui boudés par des consommateurs préférant des modèles plus légers et moins polluants. Résultat : la part des Big Three aux Etats-Unis est passée de 70% à la fin des années 1980 à 42,7% en 2008 , et Toyota est aujourd’hui leader sur le marché mondial, grâce notamment à ses modèles hybrides, qu’il a été le premier à proposer.
cf. Le Monde Diplomatique


Une situation contrastée

Les marques patrimoniales ne sont pas un ensemble monolithique.

Certaines doivent leur succès à une recette immuable et inégalée, comme Nutella, marque alimentaire préférée des français (étude Megabrand 2004) avec le même produit depuis 1965, si l’on en croit le site institutionnel de la marque.

D’autres sont condamnées à l’innovation pour maintenir le niveau d’excellence qui leur assurera de conserver leur position dominante. Ainsi, l’entreprise familiale Michelin, fondée en 1889, fonde la réputation de ses pneumatiques sur la compétition, d’abord cycliste (les pneus Michelin équipent le vainqueur de la course Paris-Brest dès 1891), puis automobile et motocycliste (endurance et circuit) : « La compétition demeure le meilleur laboratoire pour tester les innovations technologiques dans des situations extrêmes. Elle constitue un puissant stimulant pour le progrès. Michelin soumet ses pneus à l’épreuve de la réalité par la compétition. »